Islande – Iles Féroés – Canal Calédonien

Objectif :  Le plus loin que nous pouvons atteindre en 5 à 6 semaines aller-retour.

Où : vers le Nord.

Pourquoi ? Car le Muppet a déjà traîné ses guêtres dans les plupart des pays et des archipels à 1000mn de portée. C’était les Açores ou l’Islande. L’appel des hautes latitudes a été plus fort.

Quand : L’idée me trottait dans la tête depuis 2011 et l’engrenage du boulot ne m’a pas laissé le temps d’organiser ce voyage. L’été 2012, je rends visite à Eric (tour de l’Atlantique) à Ålesund en Norvège. Nous nous tapons dans la main et l’affaire est conclue pour l’été prochain. Eric est mon second mais reste à constituer le reste de l’équipage.

Au cours de l’année, je fais quelques aller-retours à St Nazaire pour préparer le bateau. L’essentiel est là. Je refais toute l’électricité de puissance, change une batterie, quelques drisses et écoutes douteuses, le tambour de l’enrouleur, installe un bon pilote (TP32) et 1000 détails de plus.

Le 3e équipier pour la montée sera finalement Simon P., un ami de ma ville parentale. Jamais navigué avec lui mais il a un bon CV et est surmotivé.

Le 6 juin, nous doublons la jetée du port de la Gravette après l’avitaillement, une course contre la montre avec la marée et un dernier carénage à la volée. Une brise de sud ouest et la marée descendante propulsent le Muppet vers l’océan. La côte s’éloigne et la nuit se lève. Quel bonheur de savoir que cet nuit et les 12 ou 14 prochaines se passeront en mer, en harmonie avec le bateau et les soins qu’il demande. Dans un temps mollasson, la pointe Bretagne, la Manche et l’Irlande sont engloutis. Poussé par les vents d’ouest, le Muppet a failli enrouler le Fastnet. Mais seulement failli, une bascule nous a permis de reprendre le cours normal de notre course. Dommage.

Le temps instable et faible mais beau (!) pousse, une fois n’est pas coutume, à beaucoup de moteur pour ne pas perdre de temps. Je n’aime pas cet esprit mais c’est la solution pour nous garantir du temps sur l’île plus tard.

Le 12 juin, l’Irlande est dépassée. L’attente aura été longue et parfois pluvieuse. Au gré des degrés de latitudes qui s’effacent derrière nous, les jours rallongent et les mouvements du soleil se font chaque jour plus beaux. Les oiseaux nous accompagnent perpétuellement. Comme nous, leur vie est dictée par l’environnement, le vent, la mer.

La traversée sera paisible. Hormis une petite journée de près pour laquelle le solent a fait son apparition, les journées sont détendues, le bateau confortable et les marins jouent et s’émerveillent avec les formes de vie alentour. Pétrels, fous de bassans, dauphins, rémoras accrochés au safran, cachalots, orques, macareux et la pêche infructueuse (mais ça occupe). A 60°N, il reste encore du Petit Basque, du Conté, du pain et du beurre et du rouge, la base.

Le 17 juin, le Muppet s’offre une arrivée sous spi à Vestmaneyjar. Archipel au sud qui représente 10% de la pêche islandaise, il est peu visité et est une aubaine pour arriver en douceur. Les montagnes volcaniques ocres, noires, les falaises, les oiseaux, un peu de verdure et depuis ce matin, l’odeur de la terre qui s’intensifie. Nous a l’avons senti avant même de la voir et par 63°25’N, 20°20’W, là voici.

Les deux jours suivants, l’île est arpentée à vélo. Il faut avoir le coeur bien accroché pour mériter les sommets splendides que l’île dévoile. Et puis, direction Reykjavik car Simon doit déjà nous quitter. Une petite nav’ de 80mn. Elle sera pénible tantôt dans une longue houle avec peu de vent ou debout avec 2 ris et du génois roulé. A 4h le 21 juin, le Muppet est enfin amarré au taquet des pontons de la capitale, sur l’île « continentale ». Pas de bol, ce ne sont pas les bons et il faut faire un dernier saut de puce jusqu’au Brokey Yacht Club caché au pied d’Harpa, le nouveau centre de conférences, concert, opéra à l’architecture moderne.

Découvrez le récit complet et plus de photos de la montée en Islande ici.

Du 21 au 30 juin, Eric, Dorothée (sa copine, maintenant épouse) et moi, partons dans les terres en 4×4. Nous avalons 2000km en 6 jours par la route nationale N1 et les pistes qui traversent les déserts au centre. Des paysages à couper le souffle mais ceci est une autre histoire…


17 août 2013, Dominique (mon père et armateur), André (un ami rencontré au cours de la préparation du Muppet pour le tour de l’Atlantique) et moi même décollons pour Reykjavik. Le Muppet n’a pas bougé mais les pieds de menthe et basilic ont grillé illuminés par le soleil de minuit (ou presque). Les 5 premiers jours s’écoulent sur l’île à la découverte des volcans, plaines désertiques, couleurs ou sources chaudes, le tout dans un climat et une météo changeant plusieurs fois par jour.

Le 23 août, cap à l’ouest pour passer la pointe de Snæfjellsnes. Si vous entendez un jour qu’il n’y a pas de courant dans la baie, méfiez-vous, on vous ment. Même le spi ne fait pas décoller la vitesse sur le fond. Une fois la pointe passée, le calvaire commence. Un foyer instable s’est installé dans la région et aucune prévision météo ne se ressemble. Mais une chose est sûr, c’est globalement du sud.

Du 23 au 25 août, le bateau sillonne l’océan en bords carrés. La progression est faible et l’équipage (du moins les anciens) est fébrile. Du près, toujours du près. Le bateau qui tape et pas d’évolution favorable en perspective. Cherchons un abri…il n’y a rien alentour. Le plus proche est à 200mn plein Est, ce sont les îles Féroés. Pour préserver l’équipage et le bateau, c’est la meilleure option. On tire la barre, le bateau se met à plat, accélère, on se prendrait même à dérouler un peu de génois.

Le Muppet se faufile dans la baie de Vagár dans l’après midi du 27 août. Pourquoi Vagár et non Torshavn? Tout simplement car plus proche, plus facile d’accès et c’est l’île qui abrite l’aéroport. Dans les têtes de Domi et André, l’aventure s’arrête là. Dans plaisance, il y a plaisir. Vagár est une petite bourgade tournée vers la pêche et les visiteurs s’y font si rares que les gens sortent dans la rue en nous voyant. Quelques jours à attendre le beau temps, la belle journée pour visiter la capitale et il est déjà l’heure de repartir. Je nourris encore des espoirs de retour à St Nazaire avant l’hiver mais le temps s’écoule et les fenêtres météo claires se font plus rares. Dominique D. (jeune chef mécanicien retraité et ancien collègue) vient à la rescousse pour m’épauler dans la descente. Nous convenons de passer par la mer du Nord pour avoir plus d’options de repli et un peu plus d’abri que sur la côte ouest. Objectif, le plus au sud dans le temps imparti.

Deux jours durant, le Muppet fait son meilleur près travers pour passer entre les Orcades et les Shetland. 2 ris et un peu de génois roulés dans du force 5 à 6. La nav d’amarinage de Dom est musclée. Finalement, le vent d’efface au passage des îles pour revenir aussi furieux et plus du sud quand notre route idéale est au 170°. L’acharnement continue.

170nm à parcourir et probablement 250 parcourus à tirer des bords jusqu’à Peterhead (au nord d’Aberdeen). J’ai pris une option à l’est pour faire du sud avec le moins mauvais bord et espérer revenir sur l’ouest avec une bascule favorable. L’option a été payante mais la mer était très forte à plus de 20mn de la côte. La prochaine fois, j’y réfléchirai à deux fois.

Nous sommes le 6 septembre et mes vacances sont sur le point de se terminer. La météo annoncée est mauvaise. Le train des dépressions hivernales a démarré son ballet. Difficile d’aller plus loin. Cette navigation depuis l’Islande n’aura pas été la plus reposante mais ce n’est pas une manière de mesurer le plaisir d’être en mer. Une fois de plus, le Muppet a démontré que l’Aquila est un bateau solide et marin en qui je peux avoir confiance. La saison de navigation s’arrête ici, au pied des hautes terres d’Ecosse. Une chance que la marina nous accepte pour l’hiver.


Mai 2014, des mois que je compte les jours avant de retrouver mon Muppet. Dominique (l’armateur), Dominique (le mécano) et une nouvelle venue, Céline, décollent avec moi pour Aberdeen. Malgré les tempêtes de l’hiver le bateau n’a pas souffert. Quelques aussières déchirées et pare battages éclatés, rien de plus. Carénage en eau, avitaillement et tout est prêt pour un départ le lendemain.

Le jeudi 15 mai, le vent est apparemment absent. Une absence de courte durée destinée à tromper l’ennemi car rapidement, le vent bascule à l’Ouest-Nord Ouest. Il est debout sur notre route vers Inverness et l’entrée du canal Calédonien. Après 30h de lutte, le havre de Cromarty est tout trouvé pour relâcher en attendant la fin du coup de vent. Le 17 mai, la première écluse est franchie. Fini la houle et la navigation en eaux libres pour les jours à venir. Naviguer dans le canal est magique. Le temps passe paisiblement à serpenter entres les champs, les villes, les montagnes (naviguer à flanc de montagne est une expérience grisante), les lochs. Au total, 29 écluses, 14 ponts tournants et 4 lochs composent ce canal partiellement creusé par l’homme qui culmine à 32m !

Le 20 mai, le Muppet circule de nouveau en eaux libres pour descendre plus au sud jusqu’à Oban, son whisky, ses fruits de mer et son colisée. Malgré le terne granit, la ville affiche ses couleurs et les cheminées de la distillerie trônent fièrement. Dominique nous quitte et Eric embarque pour la deuxième partie du parcours direction l’île d’Islay. Une petite étape de 65mn qui démarre de nuit. Dans la matinée, il faut jouer avec les contre courants du canal Jura-Islay pour progresser au plus près de la côte. La visite de l’île sera courte et couronnée par la visite de la distillerie de Bowmore. Selon l’armateur (qui en a visité un certain nombre), c’est la visite la plus complète et elle vaut le détour. Effectivement, toutes les étapes du process y sont détaillées : fumage des céréales, fermentation, aperçu des caves et dégustation. Sans être amateur de whisky, on ne peut pas rester insensible devant ces gestes et cette tradition séculaires.

Et déjà, il est temps de reprendre la mer. Objectif les îles Scilly soit 360mn. C’est sans compter sur les courants de la mer d’Irlande. Ils sont forts et quand le vent est mollasson, la progression peut être négative. A portée de la côte Irlandaise, il est arrivée qu’un barreur change de quart au passage d’une bouée de casier de pêche pour se réveiller à 300m d’elle 6h plus tard. Pas encourageant.

Le 27 mai à 2h du matin, je n’en peux plus, cela fait 3 jours que nous avons pris la mer, la progression est désastreuse et dans quelques heures, la marée sera de nouveau contre nous. Je propose une escale à Kylmore Quay à la pointe sud est de l’Irlande. Juste quelques heures pour laisser passer la marée et se dégourdir les jambes. A voté. Et à 18h, l’étrave repasse la jetée après 6h d’escale. Pourvu que ça soit la dernière avant les Scilly. Le spi porte haut ses couleurs comme pour remercier la mer de nous être plus propice.

Le 29 mai très tôt, le Muppet glisse dans l’archipel mal pavé. Difficile de choisir un mouillage sur la carte sans voir au dehors. Eric à la carte, Domi à l’ancre, Céline à la rescousse et moi à la barre. Tresco approche, repérage à faible vitesse, déroulage de la chaîne et nous voici mouillé au pied du plus grand jardin méditerranéen d’Europe. En effet, de par sa situation, l’archipel est sur la route du Gulf stream ce qui lui confère un climat clément et une température de l’eau raisonnable. Quelques grands pins Californiens barrent la route au vent et abritent un magnifique jardin botanique sur l’île de Tresco. Ce lieu est improbable quand on réalise qu’on est au large de la pointe de Cornwall!

Derniere étape du parcours, le retour à la maison et plus que 250mn de liberté sur l’océan. Pour cet étape, il faut la jouer fine avec les courants. Arriver avec la montante dans le chenal du Four, sortir avec la descendante le raz de Sein, arriver à l’ouest de Belle île avec le courant et se faire expulser avec la descendante à l’est et enfin arriver avec la montante dans l’estuaire de la Loire. En gros, il est facile de doubler le temps global de l’étape en arrivant un peu tard sur une section de l’étape.

Cette fois-ci, tout se passera bien (il n’en a pas toujours été de même). Le vent faible du nord nous fera douter de passer le raz de Sein avant la bascule mais un inédit spi et moteur nous tirera in extremis de ce mauvais pas. Les conditions sont calmes et le bateau marche bien, poussé par du nord ouest. Belle île est laissée sur tribord dans la nuit et au petit matin c’est le sprint qui démarre.

Du spi, du spi et du spi pour cette dernière journée. A l’approche du Pouliguen, je décide de rentrer en baie de la Baule pour tailler au plus court (horaire d’écluse oblige). En cette belle journée, la baie est bondée. Le Muppet arrive comme un avion de chasse, empanne et ressort en rase cailloux par un raccourci, le tout à 6,5 nds de moyenne. Il faut lofer pour entrer dans l’estuaire et le spi ne tiendra pas plus longtemps.

Près d’un an après le départ, le Muppet Show retrouve ses pénates au terme d’un voyage de 2100mn entre 47°N et 63°N et 5 pays traversés. Un voyage magique et collectif en Europe septentrionale s’achève. Malgré nos vies actives respectives, nous avons trouvé et pris le temps de repartir pour une petite aventure et une chose est sûre, pour naviguer à la voile, mieux vaut ne pas avoir d’objectif temporel. On finit par trop suivre la montre et pas assez ce qui se passe autour. La course après le temps arrache à la liberté de naviguer qui par définition est intemporelle. Mais à défaut d’une année sabbatique ou d’une retraite anticipée, mieux vaut être en mer avec une date de retour que pas du tout !


L’intégralité du récit en 4 étapes et 90 pages avec photos est disponible sur demande par mail.