Tour de l’Atlantique

Tout a commencé un soir de fiesta. Je rentrais tout juste du Portugal avec le bateau et entamais ma dernière année d’étude. Dans ma petite promo, je fis la connaissance de Simon W. Deux mois après la rentrée, au cours d’une soirée, il me prend par l’épaule et me dis « c’était bien ton p’tit périple au Portugal mais si on se faisait l’Atlantique? ». Alors, je réfléchis rapidement. Banco! Il ne restait plus qu’à convaincre mon père, le propriétaire, du bien fondé de notre entreprise.

J’ai acheté la carte de la route de Rhum 6561 puis je suis rentré un week end et l’ai posé devant lui. Il a sourit, m’a regardé, n’a rien ajouté si ce n’est « si je juge la préparation correcte avant le départ ».

Nous avons pensé le projet avec Simon 4 mois durant. De quoi aurons-nous besoin, le parcours, budget… En février, j’ai eu la chance d’obtenir le seul stage offert sur les Chantiers de l’Atlantique de St Nazaire ce qui m’a permis d’avoir le bateau sous la main et de faire deux journées en une. Boulot, bateau, dodo. Simon lui, s’occupe des recherches et des achats, me fait envoyer le matériel et gère tout ce qui peut se faire à distance.

En 6 mois, nous convertissons cet Aquila PTE (Petit Tirant d’Eau) de 1981 d’un caboteur familial confortable en voilier hauturier pour deux à trois personnes.  Voir la page le bateau, deuxième étape.

Changement du gréement dormant, ajout d’un 3e ris à la grand voile, installation d’un panneau solaire, changement des lampes à incandescence pour des LEDs, installation de pilotes, ajout de rangements dans les espaces vides, suppression de la couchette superposée, enlèvement temporaire de la couchette double, installation d’une pompe à eau de mer dans la cuisine, ajout de 80L d’eau douce dans le carré, j’en passe et des meilleures. Des voisins de ponton m’offrent un solent et un foc de brise d’Aquila qu’ils n’utilisent plus depuis l’acquisition d’un First 32. Je fais changer les mousquetons pour une ralingue et dispose à present de 3 voiles d’avant. Je trouve un spi d’occasion. Et, en un raccourci saisissant, nous voilà prêt.

Le parcours prévu est France, Espagne, Portugal, Canaries, Cap Vert, Antilles, Canada, St Pierre et Miquelon et retour.

Le 25 novembre 2008, à 5h55, Simon, le Muppet et moi passons l’écluse Est du bassin de St Nazaire. Pour cette étape, Eric nous accompagne. Eric est un ami rencontré en 2007 lors de notre stage aux ex-chantiers Alstom Leroux Naval à Lorient-Lanester, devenu STX France. Nous habitions sur nos bateaux respectifs au pied du pont du Bonhomme dans le Blavet.

Le 29, nous atteignons la Corogne après avoir essuyé l’un des plus forts vents sur la plus grosse houle que nous ayons jamais rencontrée. La fenêtre météo était favorable mais elle s’est fermée plus vite que prévu. Nous avons été malmenés mais le bateau a bien tenu dans la grosse houle de face malgré quelques vols surprises. Etape test concluante donc.

De là, Simon et moi descendons assez rapidement vers les Canaries pour fuir l’hiver. Notre départ est tardif par rapport aux dates moyennes des départs, plutôt en septembre-octobre. Via Cascais et Madère, les Canaries sont atteintes. Nous y passerons une grosse semaine fin décembre entre Graciosa, Gran Canaria, Tenerife (Noël) et la Gomera.

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Mon père nous rejoint pour l’étape vers le Cap Vert. La plus longue depuis le départ avec 800mn et déjà 2700 parcourus.

Une navigation de rêve d’une semaine où nous passerons le tropique du Cancer et fêterons la nouvelle année en l’espace d’une heure. Pour une fois, nous barrons plutôt peu et le portant fait glisser le bateau relativement confortablement malgré le roulis. Le 4 janvier, l’île de Sal est en vue.

Du 4 au 23 janvier 2009, Simon, le Muppet et moi errons dans les îles au vent entre Sal, Boa Vista et Sao Vicente. De là,  nous descendons à Praïa, la capitale, située sur Santiago dans les îles sous le vent à 155mn de Mindelo. Eric revient pour nous épauler durant la traversée de l’océan vers la Barbade.

Avant le départ, nous partons nous ressourcer à Brava, la plus petite et plus isolée des îles. Mais aussi la plus verte. Une île confidentielle, ravitaillée par les corbeaux avec son village perché à près de 1000m où il fait frais. Là bas, nous sommes à l’abri des regards et des cornes de brumes des départs tape à l’oeil de Mindelo. Le 23 janvier, le Muppet double la dernière pointe avant la côte nord de la Barbade 2000mn plus à l’ouest.

Le rythme s’installe, les alizés, le portant, les quarts, manger, dormir, se baigner. Le tout avec une moyenne record de 5,9 nds sur 14 jours et demi jusqu’à Port St Charles à la Barbade. Pas de grosse frayeur à part quelques grains qui prennent par surprise et qu’il obligent à se précipiter pour affaler le solent tangonné en ciseau. Il ne reste alors plus que le génois tangonné. La grand voile n’a jamais servi sur cette traversée. Quelques dorades coryphènes en passant et des levers et couchers de soleil à ne plus vouloir se coucher.

Le 7 février, pied est mis à terre aux Antilles, c’est officiel. 5100 mn et 2 mois et demi après le départ. Eric nous quitte et durant quelques jours, Simon et moi réparons et maintenons ce qui a besoin d’attention. Rien de particulier hormis une ferrure de safran cassée qui a été ressoudée. Après 26 ans de fatigue dans l’eau de mer, même l’inox a ses faiblesses.

Jusqu’au 19, l’île s’offre à nous. Sa ville Bridgetown et Carlisle bay, ses forêts, ses falaises sur la côte au vent, ses poissons, un délice.

Depuis la Barbade, le Muppet se faufile entre les îles de Ste Lucie à Anguilla en passant par la Martinique, la Dominique, la Gaudeloupe, les antilles néerlandaises et St Martin. Chaque île offre ses spécificités, sa langue, ses règles de mouillage, ses codes pour faire du stop à terre. En deux mois, nous découvrons les facettes de quelques îles, essayant de vivre à la locale autant que possible pour ne pas dépenser le maigre budget de 300 à 350E par mois chacun que nous avons en réserve. Il suffit de manger des fruits, de chasser du poisson et de manger du riz pour faire simple…

Le 22 avril 2009, c’est le grand saut vers le nord. De l’île de la Dominique à Halifax au Canada sans escale à deux, enfin trois avec le Muppet évidemment. 1800mn de 18,5°N à 44,5°N  et de 30°C à 0°C, presque en ligne droite en laissant les Bermudes à tribord.

Une longue et difficile navigation où nous barrons h24 avec changement de quart toute les 3h. Le repos est toujours court en comptant les manoeuvres, la cuisine, la vaisselle, la corvée d’eau et 1001 autres tâches. Le vent est instable, changeant et la mer est rarement franche. A eux deux, ils entament notre moral. Ce à quoi le froid s’ajoute. A chaque 5 degrés de perdus c’est une couche de vêtement qu’il faut ajouter.

Au passage de la zone de convergence du courant du Labrador et de celui du Gulf Stream, c’est du n’importe quoi. La brume est dense le vent inexistant à variable et la mer plutôt belle à peu agitée. L’espace d’une journée nous découvrons la pratique des interactions océan-atmosphère. Puis le froid s’installe durablement jusqu’à l’arrivée.

Dans la nuit et la grisaille du 7 mai 2009, le Muppet est tourné aux taquets du port d’Halifax. 15 jours, 1920mn et quelques émotions plus tard, Simon et moi nous serrons dans les bras heureux d’avoir accompli ce challenge en duo.

Après quelques jours egrenés à Halifax pour refaire une beauté au Muppet et passer en configuration « froid » (changement du butane pour le propane, achat d’un chauffage,…), notre duo accompagné de Louis (un copain de promo de Simon) part plus au nord vers le détroit de Canso et le golf du St Laurent. Le changement de décor est brutal. Les sapins, les falaises et une mer grise ont remplacé les palmiers, les plages de sable blanc et les eaux turquoises. Le Muppet coupe l’île de Cape Breton au travers d’une écluse de 200m pour les gros bateaux. C’est impressionnant et pas très adapté pour nous. Et hop, nous voilà dans le golfe du St Laurent.

Du 10 au 27 mai, nous remontons la côte sud puis ouest du Golfe du St Laurent. Nouvelle Ecosse, Ile du Prince Edward, Nouveau Brunswick, Gaspésie. Il fait si froid que nous évitons les navigations de nuit et faisons des sauts de puces de port de pêche en port de pêche. L’accueil est chaleureux même dans certains ports exclusivement réservés à la pêche, pas comme en France.

Les soirées au bistrot à boire des Moslon et défier les locaux au billard effacent le souvenir encore tiède des soirées sur la plage. Ici, les autochtones ne nous regardent pas comme des portefeuilles vivants. Ils sont plus étonnés de voir débarquer trois français sur ce petit canot à cette époque précoce. L’échange est différent.

A Gaspé, point culminant de notre parcours, Louis nous quitte et est relayé par Guillaume (un ami de promo à moi). A la jonction de l’embouchure du fleuve St Laurent et de son golfe, le chemin du retour nous appelle. Nous rêvions secrètement de remonter jusqu’à Québec ou Montréal mais avec la date quasi imposée du retour, cela fait bien longtemps que cette idée a été écartée. De Gaspé, nous sautons vers les îles de la Madeleine, un archipel posé au milieu du Golfe et rattaché au Québec, des îles tournées vers la pêche l’été et à la réparation et préparation du matériel le reste du temps en attendant la fonte de la banquise. Les terres ocres, la verdure et les maisons colorées leur confèrent une atmosphère particulière.

Le 6 juin, l’île de Miquelon est atteinte. Petit bout de territoire français oublié au sud de Terre Neuve, cette île qui est la plus grande des deux n’abrite que 500 âmes plus quelques maisons d’été des St Pierrais. C’est la première fois depuis les Antilles que l’eau est transparente. A 6°C certes mais c’est joli. C’est à vélo que nous découvrons Miquelon et ses habitants tournés vers l’aquaculture depuis que le moratoire sur la pêche à la morue dans les années 90 a détruit l’économie de l’archipel. La verdure, les ruisseaux et la forêt tapissent ce petit coin où une poignée de gens vivent accrochés à ces terres balayées par le vent.

A St Pierre, les cales sont remplies pour le retour. La petite île est un cailloux cerclé de falaise. L’essentiel de la population est concentrée dans la ville. Après quelques jours de détente et quelques soirées mouvementées au bistrot ou chez les locaux, il est temps d’envisager le retour. 2500mn jusqu’à St Nazaire. La plus longue étape. La météo prise à la source chez le prévisionniste de météo france n’est pas brillante. Un flux d’est, s’offre à nous (plus faible probabilité des Pilots Charts). Pas trop fort dit-il et ça ne va pas durer. Aller, un peu de près pour commencer et puis à nous les vent de sud ouest.

Le 13 juin, Le Muppet passe la jetée de St Pierre. Rapidement, comme prévu le vent est debout. Puis dans les jours qui suivent, il se renforce obligeant progressivement à réduire jusqu’à 3 tours d’inter déroulés et bandés à contre avec la barre sous le vent. 30h durant, le Muppet a dérivé vers la Floride. Pas vraiment la route. La cape, Simon, Guillaume et moi en avons lu la théorie dans les livres. Mais zéro pointé en pratique. Le résultat est que c’est confortable. Les tourbillons générés par la traînée de la coque empêchent la houle de déferler et le bateau monte et descend sur la houle. Un peu de gîte pour accompagner le tout et il ne reste plus qu’à sortir le jeu de carte.

Le 18 juin, un point bien trop au sud a anéanti nos espoirs de voir des icebergs. Alors, la routine s’installe, 3h de barre, 6h hors quart. Manger, barrer, faire la vaisselle, dormir, s’occuper, voilà le quotidien. Le 21 juin, il ne se passe rien. Au petit matin, la houle est encore une vague ondulation mais dans la journée l’océan se transforme en lac. Tous les oiseaux qui nous accompagnent, des pétrels notamment, sont cloués les pattes dans l’eau. Guillaume et Simon se baignent par 4000m de fond sans accroche au bateau.

Le reste de l’étape s’écoule dans un flux globalement de sud ouest à ouest mais jamais stable très longtemps. Il mène à beaucoup de manoeuvres. Les grains arrivent par derrière. Nous les suivons des yeux parés à enfiler le pantalon et la veste de quart s’ils s’approchent trop. Et là, c’est un rideau de pluie qui s’approche. Il passe et quand il ne pleut plus sur le barreur, il pleut encore sur l’étrave.

Enfin, le 6 juillet, Belle île est en vue et dans l’après midi, aidé par le courant, le Muppet entre dans l’estuaire de la Loire. Dernier virage à droite et amarrage au quai du port de la Gravette. Après 7 mois et demi de navigation, 12000mn au loch, tout le monde est de retour sain et sauf. Enrichis de paysages, rencontres, expériences de navigation, échanges culturels, communion avec la nature, le chaud, le froid et le respect pour l’océan, c’est le moment de retrouver nos proches, la civilisation, la réalité et la jungle du monde du travail. Merci à toi Muppet, courageux petit Aquila bravant les océans, guidés par deux intrépides à la poursuite de leur soifs de mer, de milles et de découvertes.


L’intégralité du récit, en 18 étapes et 100 pages est disponible sur demande par mail.